Extrême droite : ne pas répéter, ne pas sous-estimer, mais comprendre et combattre – par Monique Canto-Sperber

Le RN a le vent en poupe, et comme le succès d’En Marche aux élections législatives de 2017 a montré que les candidats d’un parti qui vient de remporter une victoire spectaculaire attirent les votes, on peut redouter que le 30 juin 2024, face aux électeurs, les candidats Renaissance et même ceux des autres partis ne soient vus comme des losers

Au moment où elle fut annoncée, la dissolution de l’Assemblée nationale sonnait dans la bouche du président de la République comme une punition et une solution. Une solution car la possibilité du remord était ainsi donnée au « peuple », qui pourrait réorienter son vote vers la majorité présidentielle qui depuis 2017 se fait élire comme le seul et unique rempart contre l’extrême droite. Mais aussi une punition : le peuple français a mal voté dans une élection qu’il croyait être sans conséquence, voilà qu’on lui propose de refaire le jeu, mais cette fois à domicile, et de façon qu’il en comprenne les conséquences.

Un sondage réalisé par l’Ifop en décembre 2023 prévoyait qu’en cas d’élections législatives, dans l’hypothèse d’une gauche désunie, un gros tiers des électeurs voterait pour l’extrême droite, environ 18 % pour les partis de la majorité et autour de 10 % pour les Républicains et La France insoumise, moins encore pour le PS. C’était il y a six mois, et les tendances n’ont fait que s’accentuer depuis. Le pronostic pour le 7 juillet est donc soit une Assemblée RN, soit une Assemblée incontrôlable.

Implantation. La dynamique d’un vote pour les législatives avec un scrutin majoritaire à deux tours est différente de celle d’une élection sur liste à un seul tour. On a constaté que les partis traditionnels y ont une prime, tandis que le RN et Renaissance souffrent d’un manque d’implantation, voilà qui devrait amoindrir la victoire annoncée du RN. Mais d’un autre côté, le RN a le vent en poupe, et comme le succès d’En Marche aux élections législatives de 2017 a montré que les candidats d’un parti qui vient de remporter une victoire spectaculaire attirent les votes, on peut redouter que le 30 juin 2024, face aux électeurs, les candidats Renaissance et même ceux des autres partis ne soient vus comme des losers.

Dans cette situation inquiétante, qu’une décision humaine a délibérément créée, et où les chances d’une issue favorable sont très minces, voici trois mises en garde.

L’alternance est nécessaire en démocratie, elle se produit nécessairement un jour ou l’autre. Comment les autres partis ont été délibérément siphonnés, le risque était grand que le RN finît par l’emporter. C’est ainsi qu’on fait advenir ce que l’on veut empêcher

D’abord, ne pas rejouer la grande scène du parti providentiel qui nous protégera du RN. Pendant plus de sept ans, la stratégie politique d’En Marche s’est réduite à la confrontation directe entre le RN et le parti présidentiel. Or le vote RN s’est renforcé à mesure que le camp macroniste le désignait comme la seule opposition à combattre, ce qui pour les électeurs signifiait : le seul parti pour lequel voter si l’on n’est pas d’accord. À mesure que le mécontentement montait, le RN seul montait avec lui. L’alternance est nécessaire en démocratie, elle se produit nécessairement un jour ou l’autre. Comment les autres partis ont été délibérément siphonnés, le risque était grand que le RN finît par l’emporter. C’est ainsi qu’on fait advenir ce que l’on veut empêcher.

Complot. Par ailleurs, ne pas sous-estimer le RN comme étant antidémocratique, privé de pensée, chauffé par les passions les plus négatives et tenté de construire son succès électoral sur le mensonge et le complot. Le RN est un parti populiste qui se nourrit de la fiction d’une légitimité issue du peuple et liée à la rencontre avec un leader providentiel. Il développe un discours anti-institutionnel, les rapports de force politiques devant prévaloir sur les normes juridiques. Il est aussi méfiant à l’égard de l’autonomie de la société (celle des pouvoirs locaux, des entreprises, des associations et ONG).

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C’est enfin un parti fasciné par la puissance, qui ne croit guère aux accords et alliances internationales, et en quête de l’événement qui le portera au pouvoir, ce que notre président de la République vient de lui offrir. Il défend l’homogénéité culturelle, d’où sa méfiance à l’égard de l’immigration et surtout de l’islam, et veut se présenter comme la réponse politique la plus efficace à un monde instable qui a besoin d’autorité et de décisions politiques que la caution du peuple et la désignation des ennemis de l’intérieur doivent suffire à légitimer.

Surtout, la faveur dont bénéficie le RN est là pour durer car elle s’appuie sur des groupes sociaux bien identifiés : jeunes non diplômés, modestes travailleurs du privé, habitants des territoires ruraux ou de la périphérie des grandes villes. En général peu éduqués, peu mobiles, dépassés par les évolutions technologiques, délaissés par l’action publique, ces groupes ont fait l’expérience de la paupérisation et de la disqualification sociale. Ils tiennent d’autant plus à leur culture et à leur mode de vie qu’ils se sentent menacés par l’immigration et un progressisme dogmatique sans rapport avec leurs conditions d’existence. Il faut en tenir compte et attaquer le RN sur ses principes, ses mesures et sa pratique mais ne pas en faire un épouvantail.

Le RN s’oppose au libéralisme économique, sauf lorsqu’il est asservi à ses intérêts ou à ceux de ses affidés, et se méfie de ses fondamentaux : la concurrence, mais aussi le refus de la corruption et des monopoles

Enfin, ne jamais oublier que le RN a un ennemi numéro 1 : le libéralisme, en particulier le libéralisme politique. Comme tous les populismes, le RN se méfie des institutions et contrepouvoirs qui peuvent gêner, voire étouffer, la démocratie telle qu’il l’entend. Il s’oppose aussi au libéralisme économique, sauf lorsqu’il est asservi à ses intérêts ou à ceux de ses affidés, et se méfie de ses fondamentaux : la concurrence, mais aussi le refus de la corruption et des monopoles.

Pour le RN, l’Europe est un repoussoir par son normativisme et sa définition abstraite de l’Etat de droit qui ignorent les valeurs et cultures nationales. La fracture entre le peuple et les élites (il popolo/il palazzo) est constamment présente. Dans son fameux discours prononcé le 26 juillet à Baile Tusnad en Hongrie, Viktor Orban fut le premier à acter cette nouvelle donne politique : « Une démocratie n’est pas nécessairement libérale. Nous allons dire au revoir au système libéral non démocratique. »

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Ils restent deux semaines aux partis politiques français, surtout Les Républicains et le Parti socialiste, pour s’affirmer clairement comme libéraux et républicains. Courir après les thématiques du RN est voué à l’échec, il leur faut au contraire revendiquer leurs différences, ancrées dans l’histoire et les valeurs : le respect des personnes, l’égalité devant la loi, la défense de la rationalité publique, l’autonomie sociale, la force des institutions, la lutte contre la corruption et les entraves à la concurrence, en laissant ouvertes les options que le libéralisme permet en matière de valeurs et de choix culturels.

Là est le principe d’une véritable opposition au RN : montrer par les faits, l’histoire, les pratiques, la manière de gouverner, combien le libéralisme républicain peut être une offre politique de combat

Là est le principe d’une véritable opposition au RN : montrer par les faits, l’histoire, les pratiques, la manière de gouverner, combien le libéralisme républicain peut être une offre politique de combat. Il a façonné la démocratie et le constitutionnalisme français par la lutte contre les privilèges, l’attachement assumé aux normes communes et le souci de donner à chacun les moyens de son autonomie, en particulier grâce à l’éducation et le statut de citoyen libre. Voilà du contenu pour nourrir des politiques qui se distinguent du populisme et soient suffisamment soucieuses des libertés et de la particularité des conditions d’existence, y compris des plus modestes, pour être populaires.

Monique Canto-Sperber est universitaire, présidente du think tank GénérationLibre ; elle a publié plusieurs livres dont Sauver la liberté d’expression (2021).

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